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Je me souviens des hauts-plateaux

  1. Je me souviens de ma première fois, avec mes frères. Nous sommes entrés sur les Haut-Plateaux par le Pas de la Ville. Ça montait fort ! Le temps était médiocre et je ne me souviens plus de notre itinéraire.
  2. Je me souviens de mes chaussures, emplies de noisettes, un matin à Pré Peyret, avec Isabelle et ses neveux.
  3. Je me souviens des 25 raisons pour lesquelles j’ai toujours envie de voir un chamois.
  4. Je me souviens d’un lièvre variable. Blancheur bondissante dans la blancheur immobile du paysage.
  5. Je me souviens du duvet ultra chaud prêté par mon frère, pour dormir sur la neige, bercé par le chant de la chouette de Tegmalm, au Pison, avec Luc.
  6. Je me souviens de cette engueulade avec ce type qui avait amené son chien. De quoi je me mêlais, de lui rappeler le règlement de la réserve naturelle ?
  7. Je me souviens de la quête du lagopède alpin avec Arnaud.
  8. Je me souviens des histoires d’ours dans Alpinus.
  9. Je me souviens d’une lecture de paysage dans le brouillard, aux Ramées.
  10. Je me souviens de vacances de mon enfance à Corençon, avec une hermine qui disparaissait et apparaissait dans la neige.
  11. Je me souviens d’une belette, à la cabane de Roybon.
  12. Je me souviens de la Grande Cabane, avec les bergers. « Je n’ai jamais lu de livre » m’a dit crânement l’un d’eux.
  13. Je me souviens d’avoir entendu « la balade de Tao » d’Higelin, dans une cabane, alors que je venais récupérer des affaires volées qui avaient été retrouvées par la gendarmerie.
  14. Je me souviens d’un rendez-vous avec Bruno, tard le soir, sur la Tête des jardins.
  15. Je me souviens des gypaètes rencontrés. Adultes. Immatures.
  16. Je me souviens de la fois où j’avais eu peur d’être obligé de dormir dehors, sous un rocher, si je ne trouvais pas Pré Peyret. C’était un premier janvier au soir, par mauvais temps. J’avais trouvé la cabane !
  17. Je me souviens d’un autre passage à Pré Peyret, où nous avions discuté avec un type qui randonnait avec des ânes.
  18. Je me souviens de Pré Peyret avec Lucas. De ses photos du sommet du Grand Veymont.
  19. Je me souviens du Pison avant les travaux, quand c’était rustique et que nous allions compter les petits tétras. Je me souviens des tétras, et d’un garde qui savait faire venir le coucou en imitant son chant.
  20. Je me souviens avec Théo, quand, en regardant un chamois à la jumelle, nous avons vu un petit coq. C’était au mont Baral, en dehors mais pas loin des hauts plateaux.
  21. Je me souviens de l’énorme ravin sous la tête Chevalière.
  22. Je me souviens de la pleine lune sur le Marichaume, avec la silhouette d’un mâle bouquetin découpée sur le ciel.
  23. Je me souviens d’avril, où nous partions du Diois en nous disant qu’il était inutile de prendre les skis tant le printemps éclatait… et une fois sur les plateaux, découvrir que la neige était bel et bien là.
  24. Je me souviens de la limite exacte entre les Alpes du Nord et les Alpes du sud – la ligne de crêtes entre Vercors et Diois, où des cascades de nuages s’écoulent souvent, se perdant en volutes blanches dans l’azur du ciel diois.
  25. Je me souviens d’une troupe de mésanges virevoltant dans les rochers, pas loin du Grand Veymont, et au milieu de la troupe, un tichodrome échelette !
  26. Je me souviens être monté au Grand Veymont avec mon professeur de géographie et quelques étudiants. Je ne me souviens pas de ce qu’il nous a expliqué, mais je me souviens qu’il était fatigué à la fin de la rando – dans notre jeunesse vigoureuse, nous nous étions gentiment moqués de lui !
  27. Je me souviens d’une rando vers les Trois pucelles. Ce n’est que l’amorce des hauts-plateaux. C’était une petite rando minuscule dans la neige, avec le poids du cancer en filigrane. Je n’étais arrivé nulle part, mais je m’étais rendu compte, que malgré cela, et malgré le cancer, je pouvais être heureux.
  28.  Je me souviens d’un orage de grêle à Combeau, avec Bernadette. Les grelons recouvraient presque un magnifique tapis d’orchis sureau – jaune et violets.
  29. Je me souviens, lorsque j’ouvre l’eau du robinet, que cette eau vient de la source des Rays, et avant, par le karst… des hauts-plateaux bien sûr.
  30. Je me souviens que le Glandasse a été un récif coralien.
  31. Je me souviens que l’érosion du calcaire a produit les graviers de la Drôme, et que la dissolution du calcaire a produit la couleur de la rivière.
  32. Je me souviens que les hauts-plateaux sont riches de toponymes animaux – ours, loups, aigles…
  33. Je me souviens de deux mouflons, au coucher du soleil, sur le lapiez du Purgatoire.
  34. Je me souviens de n’avoir pas fait le fier, sur le sentier du Pic Saint-Michel, lorsque j’ai vu le sentier envahi de brebis par un jour de brouillard… où était le patou ? (mais je ne l’ai pas vu).
  35. Je me souviens d’un busard des roseaux volant au-dessus du Glandasse. Les migrations ! D’un autour des palombes, aussi, plus attendu.
  36. Des accenteurs alpins. Des merles à plastrons.
  37. Des sabots de Vénus sur la route de Combeau.
  38. Je me souviens d’un très gros hêtre creux, sur le sentier d’Archiane, que je salue lors de chacun de mes passages.
  39. Je me souviens qu’Alpinus déclare Crau et Camargue « des Alpes plates »… Lien tissé entre plaine et montagne. Je me souviens de la Crau des bergers.
  40. Je me souviens que des cabanes avaient brûlé.
  41. Je me souviens de très belles pulsatilles, au-dessus du pas des Chattons.
  42. Je me souviens du stress, quand on n’est pas sûr de trouver de l’eau.
  43. Du stress, quand on se perd. Des vagues de montagnes bleues qui se succèdent jusqu’à l’horizon, et dans lesquelles on ne reconnait rien…
  44. De l’homme que j’ai croisé, la carte à la main, au milieu de nulle part, vers la tête des faisans. Il traversait depuis Chichiliane et il était perdu. Je l’ai remis sur le bon chemin, qui n’était pas bien loin.
  45. Je ne crois pas me souvenir de la création de la réserve naturelle.
  46. Je me souviens du bonheur que l’on a, venu du Diois, lorsqu’on passe la crête et que l’on découvre le panorama des grandes Alpes, Dévoluy, Ecrins et autres massifs enneigés.
  47. Je me souviens de la silhouette d’une troupe de sangliers aperçue depuis la tente, avec comme toile de fond les lumières de Grenoble.
  48. Je me souviens de nôtre quête (victorieuse) de la Cabane à Goupette, la cabane cachée.
  49. Je me souviens d’un tour du Vercors en avion, un Piper de la guerre de 14. Le pilote ne voulait pas survoler les hauts-plateaux, par crainte de ne pouvoir trouver un endroit où se poser, en cas de panne de moteur.
  50. Je me souviens d’avoir souvent trouvé que les hauts plateaux n’étaient décidemment pas plats…
  51. Je me souviens avoir entraperçu – c’était près des quatre chemins – un oiseau blanc volant à travers les pins à crochets. Je n’ai jamais su de quel oiseau il s’agissait, ni-même, s’il s’agissait d’un oiseau ou de quelque créature elfique.
  52. Je ne me souviens pas des limites exactes de la réserve naturelle, et ne les ai sans doute jamais vraiment connues. Alors, mes souvenirs des Hauts-Plateaux sont plus géographiques ou poétiques qu’administratifs…
  53. Je me souviens de toutes les fois où Gilbert m’a proposé de monter sur le plateau par le Pas de Peyrolle. Maintenant, je vois ce pas depuis la plaine, mais je sais que je n’irai jamais, et que ce n’est pas grave.
  54. Je me souviens de l’accouplement furtif d’un couple de Bouquetin, aperçu à la longue vue à l’horizon d’Archiane.
  55. Je me souviens d’une randonnée entre plateaux et versant est, avec retour par le col Vert ? Dieu que la journée a été longue… Il faut dire que j’avais dû descendre dans le bas du Trièves, parce que le sentier de versant était coupé par une neige dure comme de la glace.

…. Et j’espère me souvenir plus tard de toutes les belles balades qu’il me reste à y faire…

Jean-Louis Michelot, juin 2025, pour la formidable compagnie Le Chant des Pistes, dans le cadre de la préparation de leur spectacle Terres d’en Haut, à l’occasion des 40 ans de la création de la réserve naturelle des hauts-plateaux du Vercors